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La porte de l’au-delà

 

 

Le corps de Yumi était déjà froid lorsque la police le découvrit. Aussi froid que la neige qui tombait en abondance en ce mois de janvier.

Elle était étendue, à demi nue, sur le sol de la chambre. La serviette qu’elle portait en paréo et ses cheveux encore mouillés laissaient penser qu’elle sortait de sa douche. La porte d’entrée était close, fermée de l’intérieur. Elle n’avait aucune blessure apparente et le médecin, présent sur les lieux, conclut à une crise cardiaque. Cependant, on ne pouvait rien exclure, et une autopsie serait pratiquée dès l’arrivée du corps à la morgue de l’hôpital. Le lieutenant Alex Burton était déjà sur les lieux.

Yumi Mashita était une étudiante japonaise venu en France pour approfondir sa connaissance de la langue et pour étudier la thermodynamique à l’IUT de Longwy. Mais s’en était terminé pour elle.

Alex ne croyait pas à la thèse de l’accident. Mais il reconnaissait que les doutes de ses collègues étaient des plus légitimes. Comment pouvait-on penser à autre chose qu’à un accident en trouvant une jeune fille sur le sol de son studio, morte, sans la moindre trace de violence et la porte fermée de l’intérieur de surcroît.

Le lieutenant restait persuadé que quelque chose d’étrange s’était déroulé ce jour-là. Oh ! On ne peut pas dire qu’il ait l’imagination fertile ou même qu’il soit parano, mais dans son passé, il avait vécu un évènement bien étrange et la mort de la jeune Yumi y semblait liée.

En fait, six ans plus tôt, un meurtre, qu’on appelle communément « en chambre close » avait fait beaucoup de bruit. L’affaire fut classée. Cependant, Burton fut le seul à connaître la vérité. Lui avait trouvé la solution, mais elle était si incroyable, si fantasmatique que personne ne l’aurait pris au sérieux. Il prit donc la lourde décision de se taire et de taire la solution. Depuis tout ce temps, il vivait avec ce fardeau, ce secret horrible. Et maintenant, ce mystère ressurgissait. Cette fois, il ne laisserait pas cette mort impunie. On devait la vérité à Yumi, comme on aurait dû la devoir à Isabelle.

Son corps avait été retrouvé dans sa chambre. Egalement après la sortie de sa douche. Nue sur le parquet de son salon. Simplement à demi couverte par une serviette de bain.

Avant Isabelle, il y avait eu Sandrine. Elle aussi, retrouvée sur le sol de son appartement, à peine sortie de son bain. A l’époque, ses confrères ne trouvèrent aucune relation entre ces deux morts. Bien sûr, tout le monde releva le fait que ces deux femmes soient décédées en sortant du bain ou de la douche. Mais à chaque fois, le même refrain, logique pour tout le monde, irréelle pour Alex : la mort était d’origine naturelle, le cœur avait lâché ! De plus, à chaque fois, la porte était close. Fermée de l’intérieur, aucune fenêtre d’ouverte, aucune possibilité d’entrer ou de sortir sans passer par la porte.

Isabelle, Sandrine et maintenant Yumi, étaient de jeunes femmes, de 25 à 35 ans. Yumi était sportive, ceinture noire d’Aïkido, Isabelle faisait tous les jours ses 15 km de footing. Comment des jeunes femmes sportives pouvaient mourir d’une crise cardiaque ? Mais ce n’était pas cela qui avait fait naître le doute dans l’esprit de Burton. Ni même l’étrangeté de leur mort. Ce qu’il avait remarqué, et qui semblait avoir échappé à tout le monde, résidait dans leur position : toutes étaient mortes en face de la porte d’entrée, toutes semblaient être sorties du bain ou de sous la douche comme pour aller ouvrir la porte. Certes, pour une femme seule, aller ouvrir la porte d’entrée, à demi nue, cela relevait de l’inconscience. A moins de connaître celui qui était derrière. Et même là, il fallait qu’il soit vraiment intime pour l’accueillir dans son plus simple appareil. Et les probabilités pour que Yumi, Isabelle et Sandrine entrent dans ce cas de figure sont bien minces, voire nulles. Quelque chose ne collait pas. Et ce fut en enquêtant sur la mort d’Isabelle qu’Alex entrevit l’horrible vérité, l’aberrant aboutissement de toutes les craintes humaines. Certains prétendent qu’il est mauvais de défier l’indicible, qu’il ne faut pas s’amuser à regarder dans les ténèbres ni dans les profondeurs de la nuit, car il y a sûrement quelque chose qui nous regarde également.

Alex fut seul à découvrir ce qu’il ne devait pas découvrir. Et maintenant, Yumi venait lui rappeler qu’il avait, jadis, vu ce qui devait rester anonyme, que maintenant lui aussi risquait de rejoindre les trois malheureuses pour qui il se battait. Il a entrevu derrière le rideau de la nuit, et il devait en payer le prix. Pendant six ans, il pensait que l’autre côté l’avait oublié, que les portes grinçantes de l’horreur s’étaient closes à jamais.

Mais les revoici ouvertes.

Alex savait que Yumi était la clé et que lui, devrait bientôt en franchir le seuil.

Cela faisait maintenant trois jours que le corps de Yumi Mashita avait été retrouvé. Alex attendait nerveusement les résultats de l’autopsie. Mais il connaissait déjà les résultats : crise cardiaque ! Mort naturelle !

Certes, il n’était pas un novice et ce n’était pas les résultats qu’il appréhendait, mais bel et bien sa propre mort. Car il savait qu’il était le prochain. Yumi ne fut qu’une victime au hasard comme l’avaient été Isabelle et Sandrine, mais lui, c’était bien différent. Il était victime de son acharnement, victime d’avoir déchiré les voiles obscures de la réalité, d’avoir entrevu celui qui se tenait derrière. Il allait mourir pour ça !

 

Les résultats tardaient. Quelle importance d’ailleurs !

L’inspecteur Burton passa une nuit fort agitée. Cauchemars et sueurs froides régnèrent en maîtres sur son monde onirique. La clé était tournée, il ne restait plus qu’à actionner la poignée.

Comme tous les matins, il prit une douche avant d’aller au commissariat. Il aimait s’y détendre et traîner un peu, sentant l’eau chaude couler sur son corps. Le seul moment apaisant de la journée ! Tous ses tracas et les excès de stress et de nicotine s’effaçaient sous cette eau bienfaisante. Mais ce matin, il la prit rapidement, il n’était pas serein. Cette douche n’était pas bienfaisante, ce fut une eau chargée de craintes et d’angoisses qui lui brûlait le corps et l’âme. A chaque instant, il craignait entendre quelqu’un à la porte. S’il devait partir, IL viendrait le chercher à ce moment. Tout comme IL était venu prendre Yumi et les autres. Il coupa le robinet d’arrivée de l’eau, le clapotis des dernières gouttes résonnait à ses oreilles, comme un glas. Il se hâta à s’habiller. Une fois vêtu, il inspira profondément ; il était encore en vie. Il ne pouvait pas continuer comme ça bien longtemps. Il n’allait tout de même pas angoisser à chaque fois qu’il prendrait sa douche ? Il devait faire quelque chose !

Burton souffla, désespéré. Il avait beau se convaincre que réagir était la meilleure solution, il devait aussi se rendre à l’évidence. Que faire contre lui ? IL n’était pas de ce monde, IL n’était pas tangible.

En parler ? Hors de question.

Attendre bien sagement qu’IL vienne ? Hors de question également, mais malheureusement c’était ce qu’il serait obligé de faire.

La main sur la poignée de la porte, il hésitait à ouvrir. Il prit une profonde inspiration, souffla comme pour éjecter hors de lui l’idée qui le hantait et ouvrit brusquement la porte. Rien !

Il respirait.

Au poste, Alex n’avait pas la tête à son travail. Yumi et les autres le hantaient. Rien de malveillant, mais juste une présence au très fond de lui, lui rappelant ce que pouvait devenir son futur. Alex savait que, quoi qu’il fasse, il ne pouvait pas y échapper. S’IL voulait le prendre, IL le ferait.

La journée fut longue. Très longue même. Rien de constructif en somme, juste des moments destructeurs. Psychologiquement déstabilisants et néfastes. Des pensées morbides qui creusaient leurs chemins sinueux et sombres dans son cerveau à l’instar d’un ver dans une pomme moisie. La journée s’écoulait lentement, épaisse et poisseuse.

La semaine avait débuté comme à l’ordinaire, mais Yumi avait apporté un message de mort, clair et impitoyable : Alex ne verrait sans doute pas le soleil se lever sur un autre lundi.

Il finit sa journée. Rangea ses affaires comme s’il voulait partir sans laisser de traces, sans laisser de désordre. Il n’avait plus de famille. Du moins, plus personne qui comptait à ses yeux. C’était tant mieux : des politesses en moins !

Il rentra chez lui, ferma la porte et, toujours résigné, se versa un verre de Bourbon. Il prit une chaise, la plaça en face de la porte et s’y assit. Affalé sur cette chaise, son verre à la main, Alex Burton attendait. Tel un condamné attendant son heure, il attendait son bourreau. Alex savait qu’IL viendrait bientôt. Il le sentait au plus profond de ses chairs.

Alex attendit toute la soirée, puis il sombra. Il lâcha le verre qui roula sous la bibliothèque. L’inspecteur Burton sursauta lorsqu’un cliquetis discret brisa le silence de la nuit. Les lumières qu’il avait laissé allumées s’éteignirent paisiblement. Puis ce fut l’obscurité ; une obscurité ténébreuse, malveillante, qui commença à dévorer lentement tout l’appartement. Elle semblait trouver sa source à la porte. Cette porte tant redoutée dévoilait enfin sa maléfique nature. Une porte qui devenait celle de tout un monde, de tout un espace et de toute une vie. C’est alors que la porte s’ouvrit, une lumière vive inonda son embrasure et une silhouette s’y dessina. Une silhouette forte, impressionnante. Elle avait tout d’un homme, mais l’ombre qu’elle projetait au sol était divine, angélique et morbide à la fois. Un objet pointu à la main, IL restait là, immobile. Impossible de savoir ce qu’IL tenait. C’était sans importance en fait.

La lumière crevait l’obscurité, mais elle était froide. Alex reconnut l’homme qu’il avait vu des années auparavant au moment où Isabelle et Sandrine avaient disparu.

Il l’avait vu, et maintenant il le voyait à nouveau. 

Pour la dernière fois.

On retrouva son corps deux jours après.

On conclut à un accident, sans doute dû à l’alcool.


 

Tristana

 

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